L’enfance, l’amour et la mort suffisent à cent pour cent de nos obsessions. Chacun y passe, tout le monde y fait des photos. Les jours s’en vont et laissent des images. Tout peut servir à faire des photographies, une ville, un désert, un chat, le lieu d’un crime… Mais rien ne tient sans un regard en béton.
Devant un miroir
Cette photographie prise à treize ans, devant un miroir — l’appareil à la tempe, un morceau de pain coincé entre les dents, la lumière suspendue dans un va-et-vient, le regard fixé sur l’image en train de se faire — avait quelque chose de prémonitoire.
Ce n’est pas une mince affaire d’explorer l’Homme, il faut un calvaire et des tortures. Il faut le dépouiller à bout de nerfs, le décaper de ses illusions, prothèses et vantardises. Voici « Dialogue », parents occupés à des explorations grossières de nez et de bouches, le « Père dansant », improbable danseur de la nuit, comme frustré de réalité…
Voilà alors l’éternel féminin foutu en l’air, la fille tenant un cerceau sous le nez d’une mère étrange en chemise de nuit, les poses à égale distance de l’obscène et du cocasse… Goya. Comme si « Mère et Fille » ne suffisaient pas, s’en suit un cortège des représentations, les plus éculées du machisme ambiant… Théâtre de la misère féminine hors les lieux de la séduction… Femmes de ménage en savates, l’amour en fuite …
Mais il ne suffit pas de montrer des horreurs, il faut qu’elles soient drôles, car ce n’est pas notre cruauté qui nous rend insupportables, c’est notre vanité…
Les inconséquences de l’Homme sont prouvées.
Une petite valise d’objets, de lieux et de personnages servent de pièces à conviction…Tels sont les « Things and words », somptueux comme ce portrait de fille avec ses joues roses, désertés comme cette banquette d’un train, désespérants comme le décor de la Stasi, terrifiants comme les baraques des camps, les murs lamentables de la séparation, ennuyeux comme les résidences de la classe moyenne, reposants comme les fleurs d’un cimetière ombragé. Un chat noir aux yeux fous donne la mesure des choses.
Les « Passagers » touchent au coeur de cette affaire puisque on ne peut séparer le marbre et la chair. Qu’on ne sait plus si l’on est construit ou déconstruit, en décomposition ou en train d’apparaître. Simplicité de la mise en scène, frontalité, inscription dans le carré, monochromie font un silence de laboratoire…

Les Passagers – 2009 – Photographies argentique et numérique en superposition.
Une Renaissance n’est pas loin
Une Renaissance n’est pas loin, car enfin nous voici redevenus des énigmes après un siècle de découvertes si terribles et si inattendues que nous sommes effrayés de nous-mêmes. Pas besoin de faire le tour du monde pour faire le tour de l’Homme. Il suffit d’un carré ou d’un rectangle sans encombrement. Si on a de la poigne, on se contente de fonds moyens et neutres. On travaille à grande ouverture pour gommer l’excès de signes. L’on prépare soigneusement sa prise de vue dans sa tête, comme les fresquistes qui ne revenaient jamais en arrière. On plie à son idée les choses et les gens. On calque sur une fragile réalité la trame d’une machine à regarder qui passe à travers les miroirs… Mais au-delà, que reste-t-il du voyage?
Le cruel pouvoir de ne plus vivre entre le marteau et l’enclume…
Milou (2007). Pour le catalogue de l’exposition solo “Pasażerowie i inne fotografie” de Diane Ducruet. Galerie SZTUKI WOZOWNIA Torun, Pologne, 2007.

Les bouts d’essai – D’après une série de Collages réalisés depuis les tirages de « Performances of the ordinary« . Série de 4 collage d’après tirages « barytés » au gélatino-bromure d’argent, chacun envion 10×10 cm.
Childhood, love, and death account for a hundred percent of our obsessions. Everyone takes photographs; the days pass, leaving behind images. Anything can serve as a subject — a city, a desert, a crime scene… Yet nothing holds without a concrete gaze.
In front of a mirror
That photograph taken at thirteen, in front of a mirror — camera at the temple, a piece of bread clenched between the teeth, the light caught in a coming and going, eyes fixed on the image being born, was premonitory.
The exploration of humankind is no small affair: it demands a Calvary, torments, the stripping away of illusions, prosthetics, and vanities. Here comes the « Dialog« : parents absorbed in rough explorations of noses and mouths… the improbable night dancer, Father Dancing, as if frustrated by reality… and the eternal feminine, shattered in the daughter holding a hoop under the nose of a strange mother in a nightdress — poised halfway between obscenity and the grotesque. Goya is never far.
As if Mother and Daughter were not enough, a procession of worn-out symbols of everyday machismo follows: theatres of female misery beyond seduction — cleaning ladies out of their slippers, love on the run… But it is not enough to show horror; it must also make us laugh. For it is not our cruelty that makes us unbearable, but our vanity.
The foolishness of man stands proven.
A small bag of objects, places, and figures serves as incriminating evidence. Such are Things and Words: sumptuous as the portrait of the girl with rosy cheeks, deserted as the empty train seats, despairing as the décor of the Stasi, terrifying as a military camp, deplorable as the walls of separation, dull as middle-class housing, and restful as the flowers in a shaded cemetery.
A black, wide-eyed cat measures all things. Passengers reach the heart of the matter, for one cannot separate marble from flesh, nor know whether we are built or undone, decaying or emerging. The simplicity of the scene, its frontality, its square framing, and its monochromy organise a laboratory-like silence.
Rebirth is not far off, for we again become enigmas — after a century of discoveries so terrible, so unexpected, that we fear ourselves. There is no need to circle the globe to circle humanity: a mere square or rectangle will do.
If one dares, neutral backgrounds suffice, a wide aperture to erase the excess of signs, a scene staged in the mind. Like the fresco painters who could never flash back, one bends things and people to one’s ideas, placing shadows and lights so that their relationships create a magical equation — vibrations traveling across the image, weaving a fragile reality into the texture of a “machine for seeing.”
And beyond that, what remains of the journey? The cruel power of no longer living between the hammer and the anvil.
Milou (2007). For the catalogue of the solo exhibition “Pasażerowie i inne fotografie” by Diane Ducruet. Gallery of Art Wozownia, Torun, Poland, 2007.