La pensée de I’A. est une pensée de l’entre-deux. Ne croyant plus ni au moi ni au monde, elle reste avec le lien qui les relie: un creux, un pli. «Je» n’est personne. L’individu n’existe pas parce que l’indivisible, l’Un, n’existe pas. Il n’y a que division et altération constantes. Seul règne l’éternel retour de l’autre, l’infini dépliement d’une ligne de fuite qui se perd dans l’inconnu comme le visage se perdait tout à l’heure dans le jeu de miroir. De même, le monde n’est rien: il n’est que prolifération, juxtaposition, disjonction d’images. Il n’y a qu’une vague étendue qui se déroule, s’enroule, se déroule à nouveau, supprimant toute distance, comblant les vides, frayant des connexions nouvelles, traçant des sillons nouveaux, par où des développements sans fin, faits de bifurcations et de zig-zags, assurent une présence empêchent l’absence.
Gilles DELEUZE. Le plI. Leibniz et le baroque (Critique). Un
« vol. 22 x 14 de 192 pp. Paris, Éditions de Minuit, 1988.
