Contemporary photographic family album

9 ème grande conversation – Le Havre – Maison de la Culture

À la Maison de la Culture du Havre, on aime réfléchir sur des sujets « vifs, pas provocateurs, mais qui remuent, originaux, qui incitent à venir, on l’espère », décrit Catherine Désormière. Cette année, le thème de la Grande conversation organisée le vendredi 14 juin à 18 h 30 à la bibliothèque Oscar-Niemeyer sera « Nouvelles censures… et artistes sous pression ».

Deux invités ont été conviés pour s’exprimer sur le sujet. La photographe
Diane Ducruet a été personnellement touchée par la censure en 2014 pour
le Mois de la photographie. Un de ses clichés a été retiré de l’exposition suite à plusieurs lettres la rapprochant

d’une situation d’inceste. L’autre intervenant est Christian Ruby, docteur en philosophie et notamment auteur de l’ouvrage Devenir spectateur ? Invention et mutation du public culturel.

« Si sept lettres suffisent… »

« Nous voulons justement parler de cette nouvelle forme de censure qui date d’à peine quelques années, voire quelques mois, détaille Catherine Désormière, organisatrice de l’événement et administratrice de l’association Maison de la Culture du Havre. Si sept lettres suffisent à faire censurer un artiste, c’est inquiétant. On connaît la censure d’État, la censure politique. Mais là, c’est autre chose ». Le débat devrait s’étendre naturellement à l’ère des réseaux sociaux, aux risques d’autocensure et aux implications économiques de ce type de retrait d’œuvres culturelles.

Les deux intervenants s’exprimeront sur le sujet, puis le public sera invité à régir et poser des questions. 

« Les artistes paient le prix fort »

La photographe Diane Ducruet viendra témoigner en tant qu’artiste.


Vous avez subi le retrait de l’une de vos photographies en 2015. Comment avez-vous vécu cette censure ?

« Ce qui me chagrine, c’est que l’on parle uniquement du buzz et mon travail, le contenu, n’a pas été abordé. La problématique du retrait fragilise les lieux, et le prix fort, ce sont les artistes qui le paient. Il y a toujours eu de la censure, mais avec le public grandissant, les travaux sont de plus en plus visibles. Les réactions sont donc plus nombreuses. La communication, la publicité y travaillent. En revanche, les artistes plasticiens restent précaires, sans statut. Des réseaux se montent pour obliger à des contrats, à une rémunération. Bien sûr, j’y suis favorable. »

Pourquoi avez-vous souhaité participer à la Grande conversation ?


« Je viens apporter un témoignage, une expérience. Je ne me proclame pas spécialiste de la censure. On demande souvent aux artistes une réponse sociologique, philosophique de la censure. Ce n’est pas mon rôle. »

Avez-vous déjà dû vous autocensurer, par peur que vos travaux ne soient pas montrés ?


« Non, pas personnellement. C’est déjà compliqué d’avoir une visibilité en tant que femme plasticienne. J’ai toujours travaillé dans le packaging industriel pour financer mes photographies. On m’a parfois dit que je n’étais pas une vraie artiste, mais cela m’a permis de faire beaucoup de choses, d’être indépendante financièrement. J’ai créé un lieu de résidence, de création et de monstration [performance publique, ndlr] qui a ouvert en 2018 en Dordogne. L’Atelier mélange le spectacle vivant et les arts plastiques. »

« La démocratie doit supporter la critique »

Christian Ruby, docteur en philosophie, s’intéresse à l’art et à l’histoire culturelle.


En quoi les nouvelles censures ont influencé/perturbé votre travail ?


« Frapper une œuvre d’exposition d’interdit de diffusion ou demander la censure d’une telle œuvre à l’État, c’est agir contre le dessein même de la démocratie, tel que je l’étudie. Une démocratie doit supporter les productions de ses membres et les débats suscités, y compris les productions qui en font la critique, car sans ces critiques elle se reposerait sur ses acquis et commanderait de façon despotique. »


Qu’est ce que cela raconte de notre société ?


« D’abord, cela révèle des tensions internes autour de thèmes qui ne sont pas contournables : le racisme, le machisme, la violence sociale, les déboires des uns et des autres. Ensuite, cela renvoie à des positions politiques problématiques : ne pas vouloir débattre des propositions culturelles et artistiques en en demandant la censure, c’est renoncer à l’essentiel dans une sphère qui a pour principe le jugement public et la discussion. Enfin, cela souligne que le despotisme esthétique reste d’actualité. La censure est incapable de comprendre que le rapport à l’œuvre se produit plutôt comme une disruption dans la continuité d’un sens présupposé. »



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